Saturday, November 05, 2005

Écran Platonique: Matilda Aslizadeh, "Office", À La Galerie Skol.




"Cinema should make you forget you are sitting in a theater."
Roman Polanski



Il y a une tendance nettement fatigante chez les nouveaux artistes vidéos
de vouloir faire de leur cinéma des oeuvres d'art visuelles.


Et ici je ne parle pas d'installation à plusieurs écrans, ni
de monobande en loop dont la projection en continue
est inhérente à la compréhension de l'oeuvre, ni de projections
montrée in-situ dans des contextes particuliers.


Je ne parle pas non plus de bandes expérimentales
qui s'approchent de la photographie, ou de la performance.


Je parle d'artistes qui font dans "le scénario".
Qui développent des trames narratives plus ou moins
expérimentales, mais qui conservent les clés
de l'oeuvre cinématographique de l'introduction,
du développement, du climax, et de la conclusion
(générique à l'appui) pour appuyer leurs propos.

On ne parle même pas d'oeuvres qui ironisent
le cinéma, ce qui à la limite se prête mieux
dans le contexte souvent critique des arts visuels.



Il y a bien un peu de Marc Lewis dans l'esthétique
du vidéo "Office" présenté ces jours-ci à Skol par
Matilda Aslizadeh, mais le film n'est pas très
préoccupé par les aléas du monde cinématographique.

Le film représente, en des scènes et décors qui s'enchevêtrent
sans arrêt, des micros-drames où se superposent discours officiels
du milieu de travail bureaucratique à ceux plus intime des échanges
personnels vécus entre employés de bureau. On sent bien que l'artiste tient
à pointer l'absurdité des codes de vie régit par les fonctions
sociales, ce qu'elle souligne en tournant certaines scènes
de bureau à l'extérieur (en jardin), afin de nous permettre
de mieux constater la distance qu'à pris la nature face à la place que l'homme
s'est crée dans ce monde (enfin... plutôt le contraire, mais c'est une façon
pour moi de vous rappeler que l'homme est aussi "nature").


L'intention de l'artiste est tout à fait louable.
Tout comme est intéressante sa trouvaille formelle de fragmenter
le film et ses séquences sonores (qui se superposent et se fondent subtilement), s'ajustant à la formule des "paravents de bureau", qui fourmillent en motifs geométriques dans le cadre généralement enchanteur des jardins. Reste que nous avons bien affaire ici à un film, avec ses protagonistes, ses micro-intrigues, son générique, qui évalué comme tel (sous l'angle du cinéma), hélas n'aboutit pas à grand chose. Les deux intrigues apparemment fignolées se perdent dans un dédale
de dialogues éparses et effrités qui font sourire sans tenir en haleine.


Il aurait fallu que l'artiste déploie son propos dans l'espace (il y
avait bien 10 chaises de bureau dans la salle mais rien n'indiquait
que celles-ci n'étaient simplement que les chaises placées par la galerie),
ou choissise et concise ses images, au lieu de faire parader ses personnages en
parodiant toutes sortes de scènes anodines concernant la vie de bureau.



Il faut comprendre que la galerie offre un potentiel inouïe
pour explorer l'expression artistique, et je me demande
pourquoi fallait-il s'en tenir au format du court métrage, qui demande
ici tant de concentration pour nous présenter tant de détails inutiles
face au propos principal (c'est long 23 minutes, quand il n'y a rien qui s'y
passe qu'on a pas compris au bout de 5). C'est autant dommage
que Skol a déjà présenté plusieurs artistes
dans sa galerie qui ont su mieux traiter d'un sujet
semblable. On pense aux photographies des tours à bureaux
de Thomas Kneubühler, ou la façon dont
Myriam Yates nous avait fait subir le sort
des ascenseurs de bureaux, ou mieux, le cd audio
de celle-ci qui en documentant des conversations d'ascenseur
avait simplifier ce même propos (je reviendrai sur le cas de Yates
en ce qui concerne sa nouvelle installation au Mac, un peu plus
confuse).




D'ailleurs, je trouve étrange cette attitude des artistes
contemporains de publier, comme s'il s'agissait de tableaux ou de
photographies, des éditions de 5 à 10 copies de leur courts métrages,
à être présenté en galerie.


On trouve tellement d'idées incroyables dans les soirées de courts métrages,
notamment ceux de kino, parfois réalisé avec beaucoup de talent, qui à l'occasion
publie même des dvds où l'on peut visionner à loisirs ces films dans son salon.


Qu'est-ce qui fait que la supériorité du film d'Aslizadeh
sur ceux-ci ? En quoi méritait-il d'être montré ainsi
en galerie pendant un mois ? Pour moi il n'y
a aucune explication à part la prétention
de croire que ce travail nécessitait d'être
visionné dans un contexte éloigné de celui
du cinéma. Ce qui est tout à fait faux.


C'est qu'on ne peut pas mettre ce qu'on veut
en galerie sans que ceci ne soit évalué.
Si un artiste décide d'y amener un film narratif,
avec écran panoramique, bien ça veut dire que quelque part,
cube blanc oblige, le travail indique qu'il traite du cinéma. Déjà,
si l'artiste avait opté pour une approche documentaire,
ou pour une approche performative en s'insérant
dans les anecdotes qu'elle tenait à raconter (je pense
à Manon De Pauw qui elle s'est carrément "pitchée"
dans ses papiers à bureau), elle aurait allégé
la lourdeur du rapport cinématographique
pèsant sur son travail.




C'est le problème majeur de
l'oeuvre présentée ici de ne pas
avoir su souligner la pertinence d'un lien
entre cinéma et bureaucratie (lien
que Mark Lewis avait d'ailleurs déjà établi
avec succès).


Pour que ce lien s'estompe plus aisément, je suggère
à l'artiste de fréquenter les festivals de cinéma,
que nous avons nos propres raisons d'éviter lorsque
nous fréquentons des galeries.




À bientôt,



Cedric Caspesyan
centiment@hotmail.com



Matilda Aslizadeh: "Office"
Du 7 Octobre - 5 Novembre 2005
Skol
372 Rue Sainte-Catherine Ouest
Espace 314

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