Monday, October 03, 2005

Quand Les Images Disent Milles Mots: Zev Tiefenbach "Binary By Submission" à Zeke's Gallery





Je me suis rendu aujourd'hui à la galerie Zeke (galerie de Chris Hand,
à Montreal).


Par des circonstances étranges, je n'avais encore jamais visité une seule
exposition à cette galerie.


Je ne suis pas le seul. Cette galerie hors-circuit dans le milieu
des arts visuels de Montreal, bien que populaire dans le milieu
"underground" anglophone de cette ville, est très peu couvert par les
magazines d'art du Québec.


Elle est spécialisée dans les premières expositions d'artistes
(débutants), comme le photographe Zev Tiefenbach qui présentait
ces jours-ci des examples de ce qui constitue probablement
ses premières séries photographiques.


Avant de revenir sur Zev, je dois ajouter que,
malgré l'originalité du galeriste qui tient à conserver
l'esprit "salon" des premières galeries européennes,
j'ai l'impression que les choix artistiques de celui-ci sont contraints
par le fait que la galerie est aussi un lieu de concerts et de séances
de lectures. Les médiums plus traditionnels et de petits formats
sont peut-être mieux adaptés à ce genre d'accrochage en "tour de scène".



Cela dit, le travail de Tiefenbach déjoue les règles du familier, grâce a un système
farfelu qui consiste à titrer ses oeuvres par des numéros de téléphone que l'on peut composer sur place (grâce à un cellulaire généreusement prêté par le galeriste) afin d'entendre divers textes et sons qui accompagnent les photographies.

J'avais déja vu des photos accompagnées de son (diffusé par hauts-parleurs: on pense notamment à Nan Goldin), ou des oeuvres sonores utilisant des numéros de téléphones
(The_User, Tagny Duff, Steve Heimbecker, etc..) mais c'est la première fois que je rencontre un travail de ce genre, et malgré la confusion face aux bribes de sonorités stridentes que j'entendais, et la longueur du procédé (il vous faut quelques minutes de temps par photographie), je suis resté charmé par
l'approche de cet artiste, qui propose d'ailleurs souvent des textes dactylographiés supplémentaires apposés sur les laminés qui contiennent ses photos.


Les extraits sonores et les photographies empruntent une forme narrative souple
qui à mon avis laisse au spectateur pas mal de choix sur sa façon d'aborder les oeuvres. Chris Hand a préféré dispersé les 2 ou 3 séries de photographies dans la salle, plutôt que de les regrouper, apparemment pour souligner la liberté d'interpretation du spectateur, qui au lieu de tenter de former une trame narrative
réunissant toutes les photos (trame qui n'existe probablement pas), est invité à provoquer lui-même des associations libres, et de continuer ainsi un travail amorcé par l'artiste.


On devine bien après un certain temps que l'artiste s'est intéressé à 3 sujets précis:

1 - un road-movie urbain, qui présente des détails capté sur la route, surtout des motifs d'architectures routier ou de signalisation, mais aussi des scènes captées à la campagne, comme dans un va-et-viens entre les zones des banlieues en (sous-)développement, et les aires périphériques des villages entourant les zones urbaines
(sorte de "terrain vague" dans la relation binaire entre ville et campagne, si l'on tente de comprendre le titre étrange de l'exposition). Bref, une poésie du déplacement, de la nomadité, alors que ces photos présentent souvent des voitures ou autres éléments aptes à se mouvoir (des oiseaux), sinon des situations de blocage (
voiture prise dans la neige (photo du milieu, en provenance du site de Zeke).

2 - des "traces" de vécu humain: des objets domestiques laissé par leurs utilisateurs après utilisation, ou sur le point d'être utilisé (quand une forme humaine se présente). Ses captures de zones "intimes" (vieux matelas, réfrigérateur, chaise de restaurant (à gauche)) invitent particulièrement à la narration, et rappellent le travail de Sophie Calle, qui est reconnu pour ses explorations psychologiques sur des objets de la banalité.

3 - une série à "textes" un peu plus libre, mélangeant toutes sorte d'images "urbano-pittoresques" de garages, magasins, parkings, ou restaurants. Une sorte de voyage physique dans le no man's land des périphéries urbaines, mais qui est vécu de l'intérieur, à travers l'étreinte d'un romantisme anti-pudique, très contemporain. Les photos semblent s'être trouvées elle-mêmes tellement elle représentent des non-lieux ("(514) 907-0775 Ext 808" (2005)) , ou plutôt, des lieux qui semblent avoir été bâtit comme de la mauvaise herbe ("How To Embalm Love" (2005)).
Des enseignes, des vitrines, des portes de garages: il semble se créer un lien entre l'insigne et l'insignification. Les textes cherchent à humaniser ces images et à leur insuffler la vie ("I Forgot Which Muscles Were Its" (2005)). (les photos proviennent de ce texte de presse de la Zeke's Gallery.)



En ajoutant un échantillon de poesie ou de bruit à ses photos, l'artiste
crée ni plus ni moins des sortes de cartes postales sonores, comme on en trouve dans les magasin du dollars. Elles temporalisent des photographies qui autrement sont appelées à être gravées dans l'éternel. Elles forcent un rappel au moment de l'acte photographique, et demandent au spectateur de se mettre dans la peau de l'auteur: que s'est il passé à ce moment là, exactement ? Quelle émotion a poussé le geste photographique? En ce sens, Tiefenbach établie une sorte de système apparenté à celui du photo-roman, tout en préférant y fragmenter des moments d'intensité émotionelle plutôt que de sombrer dans le racontage, ce qui aurait été dangeureux dans un travail qui parfois frôle l'anecdotique.


En toute liberté, Zev Tiefenbach propose une nouvelle façon de rappeler les liens entre la photographie et le cinéma. Je ne sais plus si c'est Bazin qui utilisait le terme "monstratif" pour souligner le potentiel narratif de chaque image, mais le travail de Zev est une excellente proposition sur le sujet. Une tentative d'aller un peu plus loin, de dessiner autour de l'image les éléments imaginaires qu'elle inspire.


En ce sens, je considère l'exposition présenté à Zeke Gallery ces jours-ci comme la meilleure des expositions du mois de la photo "qui n'en fait pas partie", et je souhaite ardemment que Martha Langford découvre une proposition sur le pouvoir imaginatif de l'image qui aura passé à coté d'elle (Martha Langford est commissaire du présent Mois De La Photo de Montreal, dont le thème est le pouvoir évocatif de l'image).





Pour revenir à Zeke:

Chris Hand est aussi l'éditeur d'un des blogues les plus magnifiques
que je connaisse, le Zeke's Gallery, qui traite de toutes sortes de sujets aussi bien locaux qu'internationaux, avec une portion nette dédiée à la "critique de critiques d'art" (vous avez bien lu, il s'agit d'évaluer un texte critique à propos d'une exposition).


Ce blogue est parasité par des commentaires nombreux de ma part.
Je suis passionné par les défis et propositions que cet homme peut
lancer, dont le plus ambitieux jusqu'à maintenant consiste
en une rencontre avec le nouveau directeur du Musée D'Art Contemporain
de Montreal, Marc Mayer, sur le sujet de la condition de l'art contemporain québécois.


Ces rencontres auront lieux les 18 Octobre et 2 Novembre prochain:
la première en galerie, la suivante au musée.


Nous en reparlerons.



Cedric Caspesyan
centiment@hotmail.com


Zev Tiefenbach: "Binary By Submission"
Du 25 Août au 4 Octobre 2005
Zeke's Gallery
3955 Saint Laurent
Montréal, Québec
H2W 1Y4

Blogue: http://zekesgallery.blogspot.com/



PS: vous l'avez manqué?
Bah, la prochaine expo à cette galerie
va sûrement valoir le détour: des toiles
abstraites de Chris Straw (si mon épellation est
exacte), qui ressemble à une étrange rencontre entre
François Lacasse, Paul McCarthy, et le design
rétro-gogo psychédélique.

1 Comments:

Blogger Cedric said...

Howtostop commentary spams ?


I'llhave to work on this,


Cedric

2:22 PM  

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